Recherche de paternité et prescription : dura lex sed lex

Selon l’article 321 du code civil, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame, ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. Ce délai est suspendu pendant la minorité, l’enfant peut donc agir jusqu’à ses vingt-huit ans.
Cette prescription s’applique aux actions en recherche de paternité.
Peut-elle être mise à néant dans l’hypothèse où le demandeur à l’action invoque l’impossibilité dans laquelle il se serait trouvé de la respecter et une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ?
La cour de cassation répond par la négative dans un arrêt du 15 février 2023.
Les faits de l’espèce ne sont finalement pas si rares.
En 2016, un homme alors âgé de 59 ans prétend avoir découvert l’identité de son père biologique en mettant de l’ordre dans les affaires de sa mère dont le placement sous curatelle est envisagé.
En 2019, il agit de concert avec sa mère en recherche de paternité à l’encontre de ce géniteur prétendu.
La cour d’appel d’Aix en Provence les déclare prescrits dans leur action sur le fondement de l’article 321 du code civil.
L’homme se pourvoit en cassation et demande à la cour d’écarter la prescription et de juger que celle-ci n’est justifiée que pour autant qu’elle poursuit un but légitime de sécurité juridique et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’enfant.
La cour rejette le pourvoi.
Elle rappelle que l’action en recherche de paternité a été introduite plus de quarante-quatre ans après les dix-huit ans du demandeur au pourvoi et relève qu'une première instance engagée par sa mère avait donné lieu à un jugement du tribunal civil de la Seine du 18 février 1957, ayant déclaré celle-ci irrecevable en sa demande en déclaration de paternité et ayant condamné le défendeur à lui payer des subsides jusqu'à la majorité de l'enfant.
Elle approuve ainsi la cour d’appel d’avoir retenu que le demandeur au pourvoi ne démontrait pas l’impossibilité dans laquelle il se serait trouvé de voir sa filiation paternelle judiciairement établie en agissant dans le délai légal de prescription, de sorte qu'il n'était porté aucune atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
Comme l’avait jugé la cour de cassation dans un arrêt du 7 novembre 2018, l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle passé le délai de prescription décennale est effectivement une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée mais cette ingérence est prévue par la loi qui définit les conditions de prescription des actions relatives à la filiation et poursuit un but légitime en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique.
Et le délai de prescription de dix ans a été jugé raisonnable par la cour européenne des droits de l’homme dans deux décisions de 2017 et 2021 qui concernait des instances portugaises et suisses.
Une question demeure cependant : la cour de cassation reprend dans sa motivation le fait que la mère avait précédemment engagé une instance en déclaration de paternité et que cette action avait été jugée irrecevable en son temps et avait donné lieu à un jugement fixant des subsides à la charge du défendeur .
Quid si une telle action n’avait pas eu lieu, laissant supposer que le fils avait eu connaissance de ce « père biologique » et des subsides versés par lui jusqu’à sa majorité ?
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